Jeudi 5 juillet 2024, un homme de 85 ans a tenté de mettre fin à ses jours en sautant depuis le viaduc de l’île d’Oléron. Transporté en vie, par l’hélicoptère Dragon 17, au centre hospitalier de La Rochelle, le malheureux n’a pas survécu à ses blessures.

Cet événement, hélas, n’est pas le premier du genre et ne sera pas le dernier. Je me suis donc demandé quel était le plan de prévention des risques suicidaires sur les ponts départementaux.
Ma recherche a commencé par une simple requête sur Google. Je n’ai rien trouvé à part un article du 12 octobre 2015 sur France Bleu intitulé : A quand des ponts « anti-suicide » dans les Deux Charentes ? Pensant ne pas avoir suffisamment exploré le web, j’ai sollicité Copilot, l’intelligence artificielle de Microsoft, laquelle m’a répondu « il semble qu’il n’y ait pas de plan de prévention des risques suicidaires spécifique aux ponts de Charente-Maritime actuellement en place ». Voilà qui m’a semblé surprenant car « c’est pourtant l’un des secteurs en France où le taux de suicide est le plus élevé » comme l’a écrit Romain ASSELIN.
J’ai donc entrepris je faire un état des lieux de l’épidémiologie des suicides en France. Puis j’ai cherché quels étaient les outils efficaces de prévention suicidaire au niveau des ponts.
Epidémiologie nationale
D’après la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) qui elle-même cite Eurostat (pour 27 pays de l’Union Européenne), « en 2019 le taux de décès par suicide français reste nettement supérieur à la moyenne de l’Union Européenne » avec de fortes disparités selon les régions françaises (13,07 pour 100 000 habitants contre 10,15 en moyenne). Une note de l’Observatoire National du Suicide mentionne que l’indicateur « des décès par suicide et lésion auto-infligée est orienté à la hausse depuis 2018 alors qu’il était tendanciellement en baisse depuis le milieu des années 1990 ». Il faut cependant prendre ces résultats avec prudence, car il est précisé dans ladite note que « l’amélioration de la méthode de mesure des décès par suicide entre 2017 et 2018 a conduit à une augmentation des remontées de cette cause de décès ». Ainsi, si l’évolution du nombre de suicides en France ne peut pas encore être bien formalisée faute de recul statistique suffisant, on peut constater, en comparaison européenne, que cela reste un sujet de santé publique sur lequel il convient d’agir.
Quelles sont donc les principales méthodes de prévention des risques suicidaire pour les ponts ?
Ligne téléphoniques ou barrières ?

Aux États-Unis d’Amérique, le gouvernement fédéral a tenté une approche préventive à ce sujet. Aux extrémités de certains ponts, tel le Golden Bridge à San Francisco, une ligne de crise (crisis hotline) a été installée. Si l’efficience de ces dispositifs de prévention téléphoniques restent à préciser, certaines études en montrent les prémices d’un intérêt très plausible pour ces dispositifs en général (et pas seulement à proximité des ponts). Dans la revue The Lancet, une étude affirme que les pensées suicidaires diminuaient pendant plusieurs semaines chez les personnes ayant recours à ces lignes.
En revanche, les autres études condensées dans une publication de la National Suicide Prevention Lifetine (NSPL) ne démontrent pas une variation constante du nombre de suicides suite à l’installation de ces dispositifs téléphoniques à proximité des ponts. La ligne téléphonique à l’entrée d’un pont ne semble donc pas être une piste pertinente.
Le corps du texte de la NSPL précise ensuite que « la forme de prévention la plus efficace sur les sites de saut est une barrière physique, qui restreint littéralement l’accès au saut. » Dans le International Journal of Epidemiology, des chercheurs australiens ont analysé neuf études réalisées sur l’efficacité des barrières antisuicide sur les ponts et les falaises en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni, à Washington-DC, dans l’ État du Maine, en Suisse et au Canada. Ils ont conclu qu’il y avait une réduction de 86 % des suicides sur les différents sites (Pirkis, et al., 2013).
Une méthode suicidaire de substitution ?
Certains peuvent faire valoir que la prévention du risque suicidaire sur les ponts, dont le viaduc de l’île d’Oléron, ne ferait qu’inciter les individus ayant l’intention de mettre fin à leurs jours à chercher d’autres méthodes. D’après Reisch, Shuster & Michel, dans l’American Psychology Association, une recherche sur cette hypothèse de substitution a été entreprise à travers une enquête nationale en Suisse, dans laquelle les taux de suicide dans les régions avec et sans « ponts sur le suicide » ont été examinés afin d’estimer le degré auquel une « méthode de substitution » pourrait se produire. Les auteurs de cette étude ont conclu que 62 % des individus ne choisiraient pas un autre endroit à partir duquel sauter. Cette constatation a conforté les recherches antérieures consultables dans la National Library of Medicine, études qui concluaient que les barrières de pont réduisent efficacement les suicides dans les régions où elles sont installées. Sécuriser un pont, non seulement ne se reporte pas sur un moyen suicidaire de substitution dans plus d’une situation sur deux, mais en plus diminue le taux de suicide dans la zone donnée.
Un département défaillant ?
Le focus ici fait sur les ouvrages d’art de Charente-Maritime ne doit pas nous faire oublier le délabrement des soins de première ligne suite à la destruction progressive de la psychiatrie de secteur.
Mais la non prise en compte manifeste de la littérature scientifique sur la prévention du risque suicidaire, alors que les ponts du département sont le théâtre fréquent de passages à l’acte, m’amène à se demander si département de Charente-Maritime a bien pris la mesure du sujet.
Les ponts de Charente-Maritime, pour certains vétustes et inadaptés aux mobilités douces, non-préventifs quant aux risques suicidaires, devront être un sujet important des prochaines élections départementales. La non substituabilité des ponts une fois leur sécurisation faite, diminuera normalement le taux de suicide dans le département. C’est un enjeu de santé publique, thématique qui nous est précieuse sur VAB.
Cette question de la prévention du risque suicidaire sur les ponts du département démontre que la sécurité des usagers vaut mieux qu’un débat tout pourri sur les péages. D’ailleurs, ces péages désirés par certains ne sont-ils pas que le dévoilement du mépris de classe de leurs principaux promoteurs ? Ce thème des péages nous a-t-il empêché de parler de l’essentiel ?
Une réponse à “Viaduc d’Oléron : quelle prévention du risque suicidaire ?”
[…] Une fois n’est pas coutume, la psychologie est la discipline scientifique qui donne le plus de billes pour définir les solutions ayant fait leurs preuves. […]