Dépôts sauvages, ça suffit !

Lors de l’enquête qualitative de satisfaction de l’équipe municipale, certains ont mentionné que les rues de Bourcefranc-le-Chapus étaient propres. En revanche, tout au long de l’année, depuis des années désormais, sur l’Agora de Vivre à Bourcefranc, d’autres témoignent (image à l’appui) de rues sales et de dépôts sauvages tant dans les espaces urbains que naturels.

Si les dépôts de déchets qui dégradent la qualité de vie sont un problème national, la commune de Bourcefranc-le-Chapus semble particulièrement concernée tant dans ses rues que dans ses espaces naturels. En effet, nos marais, zone Natura 2000 et source de production alimentaire ont aussi été le théâtre d’un dépôt de 3000m3 de déchets pouvant contaminer la chaîne alimentaire et polluer les nappes phréatiques. Ces dépôts, toutes sortes confondues, peuvent même favoriser la multiplication des gîtes larvaires responsables de la propagation d’épidémies créant de vrais problèmes en puissance de santé publique, notamment avec le dérèglement climatique comme catalyseur.

Un coup de vent et hop, à la mer…

Si des sanctions existent pour condamner les pollueurs, d’autres stratégies non contraignantes s’adressent au plus grand nombre et ont fait preuve de leur efficacité sans avoir encore été appliquées dans notre commune. Il ne restera alors que les rares cas persistant à alimenter les dépôts d’ordures et qui relèvent d’une approche autoritaire ferme.

Des sanctions pour les pollueurs

Des sanctions ont été créées par le législateur pour condamner les pollueurs selon leurs actes. En voici un petit florilège non exhaustif.

La création ou la participation à un dépôt sauvage est un délit caractérisé dans le Code de l’Environnement (article L. 541-46). Il peut être punit d’une amende pouvant atteindre 75 000 € (375 000 € pour les personnes morales) et de deux ans de prison maximum. Si le dépôt a été fait avec un véhicule, l’article R. 635-8 put justifier d’une amande de 5ème classe supplémentaire ainsi que la confiscation du véhicule. Pour les dépôts à proximité des sites de collecte, c’est l’article R. 632-1 du Code pénal qui précise les sanctions avec des contraventions de 2ème classe. Enfin, le Code de l’Environnement permet le cumul de sanctions pénales et administratives. J’ose espérer que la lecture de ce paragraphe en dissuadera plus d’un. Mais les pollueurs prennent ils vraiment le temps de lire ce ce site ?

La psychologie au cœur d’une démarche rationnelle pour quérir des solutions

Avant de sortir des propositions concrètes d’un chapeau, il s’agit de présenter le cadre théorique desdites propositions, cadre pensé à partir de recherches scientifiques. Nous recherchons là un haut niveau de preuves dans l’objectif, je l’espère, qu’un consensus politique aille de soit.

La communication engageante

En 2023, la dégradation de l’environnement reste le deuxième sujet de préoccupation des Français, après la violence et l’insécurité. Une étude, publiée en juillet 2023 par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), montre que 58% des Français se considèrent « assez sensibles » à l’environnement et 38% « hautement sensibles ». Bref, 96% des citoyens sont sensibles à la question.  Ainsi, les français se sentent très concernés par les enjeux environnementaux mais cela n’induit pas pour autant un changement de comportement.

Une fois n’est pas coutume, la psychologie est la discipline scientifique qui donne le plus de billes pour définir les solutions ayant fait leurs preuves.

En 2012, des chercheurs ont proposé un rapprochement entre deux types de travaux traditionnellement disjoints dans la littérature en psychologie sociale : celui concernant l’engagement par les actes (cf. Kiesler, 1971 ; Joule & Beauvois, 1998) et celui concernant la persuasion (par ex., Girandola, 2003 ; Chabrol & Radu, 2008).

De ce rapprochement est né la théorie de la communication engageante qui développe une perspective en rupture avec le sens commun. Elle bouscule un présupposé très largement partagé selon lequel les idées mènent aux actes, ce qui n’est pas tout à fait juste à l’échelle collective. Elle est issue d’une collaboration interdisciplinaire entre Sciences de l’Information et de la Communication et la Psychologie sociale. L’essai de psychologie sociale de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens », publié aux Presses universitaires de Grenoble (PUG), déploie plus amplement ce concept pour ceux que ça intéresse.

« Le principe de la communication engageante consiste précisément à faire précéder la diffusion d’un message persuasif de la réalisation d’un acte préparatoire. » Elle nous permet dans notre problématique présente de concevoir qu’il est plus important dans une action à visée de gouvernance de vouloir d’abord changer les comportements avant de changer les idées.

Communication engageante et redevance incitative

Hop, un petit dépôt sauvage, l’air de rien.

Que nos élus locaux l’aient théorisé en partant de la psychologie sociale ou non, c’est bel et bien ainsi que procède en partie la redevance incitative mise en place par la Communauté d’Agglomération.) : changer les comportements plutôt que les idées.

« Incitative » , est-ce là un abus de langage ?

Cette méthode contraignante présente des écueils qui font qu’elle ne se suffit pas à elle-même.

En effet, non seulement les français sont de moins en moins favorables à une fiscalité environnementale mais en plus, ladite redevance incitative a probablement accru le recours aux dépôts sauvages qui nous préoccupent ici.

Le facteur « contrainte » est-il un impensé des élus de la Communauté de Communes du Bassin de Marennes ? Le dispositif de la redevance incitative doit-il être complété ? Si oui, par quoi ?

Tandis que la communication engageante cherche à créer un engagement actif et conscient chez les individus, le nudge s’en inspire et utilise plutôt des incitations subtiles pour influencer les choix.

Le nudge

Né de l’économie comportementale, lieu où les neurosciences s’emparent des sciences sociales, le nudge peut-il constituer un accélérateur de changement ? Nudge veut dire « coup de pouce » en anglais. Définit comme une incitation douce pour encourager le comportement désiré sans contrainte, il s’agit de créer un réflexe pavlovien chez la personne.

Il s’agit aussi de cesser de penser l’humain comme un être rationnel (homo-économicus) selon les préceptes de l’économie néoclassique car on voit les limites comportementales de cette approche (dans le cas présent, persistance des comportements générateurs de dépôts sauvages au-delà des seuls individus psychopathiques).

Il s’agit donc plutôt de s’appuyer sur l’économie comportementale qui définit l’humain comme d’abord empreint d’émotions et influencé par son environnement physique et social. Un individu ayant des lésions sur les centres neuronaux en prise avec les émotions est d’ailleurs bien en peine pour faire des choix, preuve s’il en est que les émotions dictent les comportements bien plus que la raison ! Les chantres de la société du spectacle l’avaient compris bien avant l’avènement des neurosciences.

Pour être opérant, le nudge doit répondre à divers critères. Il doit viser un changement comportemental (soit tout autre chose que les idées). Le comportement ciblé doit être bénéfique pour la personne visée. Il doit être effectué sur des points de contacts précis (spatiaux et temporels).

Nous avons donc acté que les comportements collectifs précèdent les idées et qu’il faut trouver un cadre non contraignant. Quels sont ainsi les outils alliant communication engageante et nudge pour diminuer les dépôts sauvages ?

Des approches comportementales sans contraintes

Voici une petite liste non exhaustive de pistes à envisager ou à poursuivre pour la commune de Bourcefranc-le-Chapus et la Communauté de Communes du Bassin de Marennes.

De l’humour

Une étude Suisse publiée dans Environmental Research Engineering and Management intitulée A Field Experiment on Behavioural Effects of Humorous, Environmentally Oriented and Authoritarian Posters against Littering, a étudié l’influence du message sur l’abandon de déchets au sol. Dans les mêmes conditions, trois types de messages ont été affichés à la sortie de plusieurs gares : un message autoritaire « pollution interdite », un message environnemental « protection de l’environnement » et un message humoristique « parce que les déchets n’ont pas d’ailes ». Le contenu graphique était identique sur les trois affiches.

Les résultats ont montré que le message humoristique a permis de réduire de 60 % le jonchement par rapport à la situation initiale sans affiche contre 25 % seulement pour le message autoritaire.

Du visuel

« Mettre sur le sol des traces de pas vertes [ou des marelles] qui vont vers les poubelles municipales fait baisser de presque 50 % la tendance à jeter ses déchets par terre », rapporte cet article des échos. Mettre des couleurs vives sur le matériel urbain dédié pour qu’il soit bien perceptible est aussi une piste à envisager.

A Lille, des marelles au sol pour guider les passants vers les poubelles

De la communication

A visée dissuasive, la municipalité de Bourcefranc-le-Chapus pourrait communiquer sur les sanctions via les réseaux sociaux, le Petit Chapusais ou avec des panneaux à proximité des sites usuellement utilisés pour les dépôts sauvages.

Le sale appelle le sale

Un premier dépôt ou une apparence d’espace public à l’abandon peut entraîner une réaction en chaîne presque auto-alimentée. Par exemple, à proximité des conteneurs, si un dépôt est déjà présent, l’usager suivant pensera que le conteneur est plein et déposera à son tour au pied du conteneur. Un projet municipal doit donc penser la valorisation de tous les espaces, y compris ceux dédiés à la gestion des déchets :

  • Fréquence du ramassage aux conteneurs : le ramassage doit être suffisamment fréquent pour que l’espace reste propre mais pas trop non plus pour ne pas désengager le citoyen. Des outils de signalement peuvent aussi être créé pour déclencher un ramassage non planifié si nécessaire.
  • Contrôle social : à l’instar de l’Organisme National des Forêts (ONF) qui a installé des pièges photos, la vidéo surveillance ou les pièges photos peuvent être envisagés par la commune. Des panneaux signaleraient l’existence de ces dispositifs. Il existe des dispositifs nomades pouvant changer de lieux selon l’évolution des habitudes des pollueurs. Ces dispositifs seraient utiles à proximité des conteneurs mais aussi sur les lieux d’attente (tel les abris bus pour prévenir les jets de mégots ou de papier) ou encore les sites sensibles (le port où les déchets peuvent vite rejoindre l’océan).
  • Contrôle social (bis) : les conteneurs ne doivent pas trop être éloignés du regard citoyen. Il ne faut pas les mettre dans des zones trop fantômes ni les cacher par des murets ou des haies (même si la végétalisation a son intérêt). Ils doivent être éclairés.
  • Végétaliser : il est prouvé que les zones fortement végétalisées sont moins soumises aux dépôts sauvages de déchets. La présence de végétaux joue un rôle régulateur sur le stress et a donc tendance à faire baisser les actes de vandalismes, de dégradation et de pollution des lieux.
  • Matériel urbain adapté : il faut opter pour un dispositif de collecte selon son emplacement au sein du territoire. Notre commune littorale doit par exemple privilégier des poubelles en béton avec couvercles.
  • Paysagisme urbain : l’aménagement des zones de dépôt sans plan d’urbanisme global pluri décennal intègrerait ces dernières dans le fonctionnement urbain tout en les paysageant. Pour l’heure, elles semblent avoir été improvisées. Une par-ci, une autre par-là, bref, là où il y avait de la place.
  • Propreté globale : avoir une commune globalement en ordre, avec de vrais trottoirs, des végétaux qui ne dépassent pas sur la voie publique, une voirie digne de ce nom, des emplacements de stationnement définis et respectés, des installations électriques enterrées, un cahier des charges sur le maintien des outils de production ostréicoles sur le domaine public dans un état convenable, etc., constituent autant d’atouts incitatifs donnant envie de respecter le cadre. Une commune en décrépitude produira l’effet inverse chez les moins attentionnés d’entre-nous.
Un conteneur du quartier du Vieux Chapus

Faciliter le circuit des encombrants

Tout le monde n’a pas forcément de garage, de voiture, un utilitaire ou une remorque pour entreposer et transporter des encombrants. Un ramassage intercommunal des encombrants serait donc un plus. De même tout le monde n’a pas forcément un jardin où gérer son compost. Les composts communs, souvent mal utilisés, attirent, quant à eux, des nuisibles. Des points de collecte du compost et des déchets verts doit aussi être envisagé avec des conteneurs ouvert seulement la veille pour éviter la prolifération des nuisibles (voire, pourquoi pas, un ramassage également).

Poursuivre de valoriser les démarches associatives environnementales

A Bourcefranc-le-Chapus, les Insurgés des Déchets sont très actifs. Leurs actions, ainsi que toutes celles des associations environnementales locales, doivent être mise en lumière autant que possible par les pouvoirs publics.

Les limites du nudge

Le nudge n’est qu’un coup de pouce pour des gens qui savent, qui aimeraient bien faire mais dont un certain laisser-aller les fait flancher. Si les résultats du nudge sont significatifs, comme en attestent les études citées précédemment, il n’est opérant que si l’intention d’agir est présente bien que latente. Le nudge ne crée pas la motivation si elle est totalement absente ; ce qui est le cas des rares profils psychopathiques qui nécessitent une approche plus musclée pouvant impliquer l’action du maire ou l’Etat (l’individu sans Surmoi aura besoin d’une société surmoïque…).

Location saisonnière

Pourrait-il être envisagé que les loueurs aient à charge de présenter un document faisant preuve qu’il ont informé les touristes des modalités de gestion des déchets dans la commune ?

Les touristes n’étant pas forcément présents entre le dimanche soir et le lundi matin, le loueur aurait alors la responsabilité de mettre les déchets au bon endroit (lui-même ou une conciergerie).

Pouvoirs du maire et de la commune

En matière de dépôt sauvage, l’inaction du maire est une faute de nature à engager la responsabilité de la commune (Conseil d’État, 28 octobre 1977, Commune de Merfy). Le préfet devient l’autorité administrative compétente en cas de carence du maire (dépôt à cheval sur deux communes ou inaction de la commune).

La Commune de Bourcefranc-le-Chapus dispose d’une Police Municipale dont la recherche d’un indice pouvant révéler l’identité du producteur peut faire partie de ses attributions (facture, courrier, vidéosurveillance, etc.). Ainsi la question des dépôts sauvages relève de la compétence du maire mais transférable depuis la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (GAEC).

En revanche, les décharges illégales relèvent de compétence de l’Etat via les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL).

Conclusion

Bien entendu, si la meilleure manière de gérer les déchets reste de ne pas en produire, la question des dépôts d’ordure relève d’un effet de synergie, terme issu de l’approche systémique en psychologie actant que le tout est plus que la somme de ses parties.

La redevance incitative de la Communauté de Communes du Bassin de Marennes ne semble donc pas avoir été pensée de manière systémique. Cette politique de gestion des déchets n’a pas été pensée en dehors du comportement domestique des usagers. Cette politique n’a pas été conçue avec un plan de gestion de ses conséquences : la prolifération des dépôts sauvages.

Tout au long de cet article nous avons présenté des outils parfois inexistants sur la commune de Bourcefranc-le-Chapus pour lutter contre la récurrence des dépôts sauvages. Une fois encore, nous avons justifié de la pertinence des outils présentés avec le concours d’études scientifiques pour vous garantir un haut niveau de preuve (donc plus pertinent que des avis personnels non argumentés). Nous avons aussi acté des limites de notre propos sans oublier néanmoins de mentionner la puissance d’agir des pouvoirs publics et les outils dont ils disposent auprès des individus les plus récalcitrants.

Les commentaires sur l’Agora sont unanimes. Souverainement, les Bourcefrançais semblent se prononcer contre les dépôts sauvages. Les outils pour aborder cette question sont désormais sur la table pour la majorité actuelle.

Si les arguments proposés ici sont étayés, il n’y a pas de vérité scientifique qui soit supérieure à la démocratie. Puissent les électeurs avoir l’opportunité de trancher la question si la situation se s’est pas améliorée d’ici les municipales de 2026.

Il est grand temps que la question des dépôts sauvages appartienne rapidement au passé !

Une réponse à “Dépôts sauvages, ça suffit !”

  1. […] des culs-de-sac qui ne mènent nul part et qui ne sont pas ou peu accessibles au public. Cette faible accessibilité, loin de regards, en font d’ailleurs des lieux privilégiés pour … La communication promotionnelle des marais présente ainsi une dissonance cognitive majeure : […]